Le Boléro au cinéma

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"Mon "Boléro" devrait porter en exergue : enfoncez-vous bien cela dans la tête !"- Maurice Ravel

« Le boléro est une danse de bal et de théâtre qui est apparue en Espagne autour du XVIIIe siècle ». Non, la première chose à laquelle on pense lorsque le mot « boléro » est prononcé, ce n’est pas à cette danse de bal, mais plus certainement à l’œuvre de Maurice Ravel . Bien que connue mondialement comme une pièce musicale - qui pourrait tout à fait se suffire à elle-même – le titre de l’œuvre évoque l’origine du terme hispanique : à savoir la danse, le ballet. Commande passée par la riche danseuse Ida Rubinstein, le Boléro est sans nul doute l’œuvre la plus connue du compositeur français, devant L’Enfant et les Sortilèges ou encore Concerto pour la main gauche.

Composé et créé en 1928, le fameux Boléro n’avait sûrement pas vocation à devenir l’œuvre phare du compositeur. Et pourtant, elle le devint à un point tel que le Boléro s’est fait lui-même personnage de cinéma, au cœur de l’intrigue, à tel point - aussi - qu’il s’est exporté par-delà les frontières, au Mexique, aux Etats-Unis, au Japon, en Italie.

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Pourquoi le Boléro, pièce de musique savante initialement prévue pour un ballet, a-t-elle autant fasciné les réalisateurs ? A quelles fins a-t-elle été utilisée au fil des années ?

Tout d’abord notons que le Boléro s’enroule sur lui-même, se muant progressivement en un tourbillon tonitruant au terme de quinze minutes. La musique gonfle lentement autour du même motif mélodique, rythmé par un ostinato à la caisse claire. Ravel est parvenu à façonner un motif mélodique simple aux sonorités hispanisantes, entêtantes et brûlantes. De ce motif nait le caractère également érotique et sensuel du Boléro - en témoigne la création d’Ida Rubinstein en 1928 dont la chorégraphie laissait apparaitre une femme tournoyant sur une table entourée par des hommes comme hypnotisés par la danseuse - qui se prêtera à certains films. Mais revenons à ce motif mélodique et à son cheminement au fil des mesures : faisant le tour de l’harmonie, le thème du Boléro se voit presque inchangé. Pourtant cette variation perpétuelle se soustrait aux développements mélodiques habituels, preuve de l’ingéniosité du compositeur et de sa grande originalité pour la première moitié de XXe siècle.

On ne peut pas affirmer catégoriquement qu’il existerait une évolution linéaire des intentions des réalisateurs de films quant à leur utilisation de ce morceau au fil des décennies. Néanmoins on peut relever que progressivement, l’œuvre en tant que ballet n’est plus le centre du film, elle n’est plus le prétexte. A la danse se substitue la musique. Le Boléro commence à exister pour lui-même et se met à incarner diverses thématique comme l’évolution, ou encore le grotesque. Il faut préalablement évoquer son exportation qui illustre assez bien la grande notoriété de l’œuvre quelques années seulement après sa création à l’*Opéra Garnier * et explique en partie les diverses utilisations auxquelles l’œuvre a été sujette.

Avant même la création du Boléro, Ravel s’apprêtait à sillonner les Etats-Unis et le Canada durant quatre mois (de janvier à avril 1928). Mais jusqu’en 1931, le Boléro ne s’est diffusé qu’en Europe. Ainsi peut-on attribuer la tendance des réalisateurs à placer le boléro au cœur de leurs intrigues, et d’insister sur l’aspect « ballet », à la diffusion restreinte de l’œuvre en Amérique, sans réel recul par rapport à l’œuvre.

Deux exemples seront retenus pour étayer cette hypothèse, à savoir Boléro de Wesley Ruggles (1934) et El Bolero de Raquel de Miguel M. Delgado (1957). Wesley Ruggles est le premier réalisateur à utiliser le Boléro, puisque le personnage principal du film – Raoul, un mineur - rêve de devenir danseur. La scène finale montre Raoul et Helen effectuant une chorégraphie sensuelle sur l’œuvre de Ravel. Concernant El Bolero de Raquel, le réalisateur mexicain a pris le parti de prendre à la lettre la définition de boléro, signifiant littéralement « cireur de chaussures ». Aussi, lorsque le « boléro » est appelé sur scène, le cireur de chaussures comprend qu’il lui faut apparaitre, alors qu’une danseuse américaine est déjà en train d’effectuer une chorégraphie devant la foule.

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Gardons-nous cependant de généraliser l’utilisation du Boléro comme prétexte à la danse seulement en Amérique. Claude Lelouch, en 1981 dans Les uns et les autres (dont la traduction américaine du titre du film est assez équivoque, puisqu’il fut rebaptisé sobrement « Boléro »), a également fait du Boléro, en tant que musique savante, le support du récit de la vie de quatre familles, dont le seul point commun est l’amour de la danse et de la musique.
Mais on observe déjà que la notoriété de l’œuvre a fait son chemin - au sens stricte du terme - puisqu’elle est par exemple réutilisée dès les années cinquante par Akira Kurosawa dans Rashômon. Le film n’utilise pas à proprement parlé le Boléro ravélien, mais une variation sur le socle mélodique et rythmique de la pièce pour orchestre. L’ostinato et la répétition du motif mélodique permettent de doubler musicalement ce que le spectateur voit sur l’écran. Dans Rashômon, la même histoire (le meurtre d’un samouraï) est racontée par quatre protagonistes différents, et la tension est palpable.

Aussi, les différents films laissant entendre le Boléro se retrouvent dans des thématiques que la musique est supposée souligner. On retrouvera le Boléro quand il s’agira de mettre en exergue l’évolution d’un personnage ou d’une situation (par exemple dans Love Exposure de Sion Sono, 2008 et Allegro non troppo de l’italien Bruno Bozzetto, 1978) renvoyant ainsi directement à l’écriture elle-même de l’œuvre, ce long crescendo orchestral qui évolue lentement. Par ailleurs, le morceau a également servi de support au grotesque, comme dans* Elle* de Blake Edwards (1979), où l’on peut entendre les premières mesures du Boléro en boucle lors de la scène de sexe terriblement gênante entre Jenny et Georges Weber.

On recense enfin plusieurs films ayant fait le choix de traiter l’œuvre musicale comme personnage central de l’histoire, la soustrayant ainsi à son utilité première – le ballet - le génie de l’orchestration ravélienne. En témoigne le film de Philippe Leconte, Le batteur du Boléro (1992), où la caméra n’est fixée que sur le batteur, indispensable à l’exécution de l’œuvre puisque le rythme reste inchangé durant les trois cent quarante mesures qui le composent. L’accent est placé sur la souffrance et l’inutilité qu’éprouve le batteur (ici Jacques Villeret ) à s’astreindre à un tel exercice. Nous citerons enfin L’Orchestre de Zbig Rybczynski (1990) qui reprend par exemple l’ouverture de La Pie Voleuse de Rossini, l’Ave Maria * de Schubert et le *Boléro. L’approche du réalisateur est ici intéressante puisque la musique est le fondement de ce qui se passe sur l’écran, elle est nécessaire au film. Ainsi Rybczynski tente de traduire en image ce que la musique pourrait évoquer dans notre esprit. En l’occurrence, le Boléro est la scène culminante du film, « représenté » par la longue montée des marches vers le communisme, qui s’effondre inexorablement à la fin de l’œuvre.

L’utilisation à l’écran du Boléro s’est indubitablement accélérée à partir de 1961, date à partir de laquelle Maurice Béjart créé sa célèbre chorégraphie. Celle-ci a pleinement contribué à faire bénéficier au morceau d’une aura d’autant plus internationale. Ceci étant, les utilisations se multiplient, elles se diversifient, à un point tel que la pièce de Ravel apparait dans des productions américaines telles que Basic de John McTiernan, dont l’intrigue implique un conflit entre militaires au Panama ou encore dans Femme Fatale de Brian de Palma (2002), où le socle de composition est repris pour le thème principal du film sans pour autant laisser entendre le Boléro original. L’œuvre a multiplié ses apparitions au cinéma, s’éloignant parfois de ses origines. Quatre-vingt-huit ans plus tard, le Boléro de Ravel n’a pas pris une ride.

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