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Mort de Jacques Villeglé, l'affichiste libre

A g., Jacques Villeglé en 2008 avec une assiette peinte pour une vente caritative. A d.: une toile exposée au Grand Palais, en 2006.
A g., Jacques Villeglé en 2008 avec une assiette peinte pour une vente caritative. A d.: une toile exposée au Grand Palais, en 2006. © SIPA
Anaël Pigeat

Grande figure du Nouveau réalisme et co-inventeur de l'affichisme, Jacques Villeglé est mort le 7 juin à l'âge de 96 ans. 

« Jeune, gai et impudique », c’était le titre de l’une de ses dernières expositions, rue de Seine à Paris en 2019, à la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois avec laquelle il collaborait depuis plus de vingt ans. Jacques Villeglé nous a quitté le 7 juin dernier à l’âge de quatre-vingt-seize ans – on lui en donnait vingt de moins. Éternel jeune homme, toujours coiffé d’un chapeau ou d’une casquette, et vêtu d’un imperméable clair, il était un familier des vernissages, discret et toujours accueillant. Il avait été une figure du Nouveau Réalisme, connu pour ses affiches lacérées qu’il arrachait dans la rue pour les mettre aux murs des musées. Plus récemment, il était aussi considéré par les street artistes comme l’un de leur « pères ». Le Centre Pompidou lui avait consacré une grande rétrospective en 2008.

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Né Quimper en 1926, Jacques Mahé de la Villeglé arrive à Paris en 1959 dans ce qui était alors le quartier chinois de la rue au Maire dans le 3e arrondissement – où il a eu son atelier jusqu’à aujourd’hui. Pour gagner sa vie, il choisit d’abord l’architecture, mais à l’âge de 17 ans, la découverte dans un livre de Picasso, Braque et Miró, l’avait décidé à devenir artiste. C’est à l’École des Beaux-Arts de Rennes qu’il rencontre Raymond Hains, son complice d’une vie, l’autre affichiste avec qui il réalise aussi quelques films expérimentaux. Dans sa Bretagne natale, sa culture était celle des histoires de corsaires. A Montparnasse, il fréquente les artistes des avant-gardes, Camille Bryen, Henri Wols…

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En 2004 à Monaco, avec la princesse Caroline et le conservateur en chef du musée de Monaco, Jean Michel Bouhours.
En 2004 à Monaco, avec la princesse Caroline et le conservateur en chef du musée de Monaco, Jean Michel Bouhours. © BRUNO BEBERT/SIPA

A partir de 1947, il collectionne des objets trouvés qu’il transforme en œuvres sculpturales. Sa première lacération, « Ach Alma Manetro », date de 1949, prélevée sur une palissade entre le café du Dôme et celui de la Coupole au cours d’une virée avec Raymond Hains. La présence des lettres sur les affiches était pour lui comme une suite du cubisme de Braque et de Picasso. Son activité se concentre alors principalement sur ces lacérations. L’affichisme est né, qui sera repris par la suite pas de nombreux suiveurs de Villeglé et de Hains. Sa première galeriste est Colette Allendy. Ses expositions sont fréquentées par le milieu intellectuel parisien et d’autres artistes de la même génération. 

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Un peu plus tard, Villeglé invente « le lacéré anonyme ». Cesser de signer ses œuvres est pour lui comme une libération artistique. L’invitation qu’il reçoit à la Biennale de Paris en 1959 tourne mal : avec Hains et quelques autres, il est renvoyé par d’autres artistes qui leur reprochent de ne pas être peintres. On parle d’eux dans la presse. Le 16 octobre 1960, Jacques Villeglé signe le manifeste du Nouveau Réalisme, écrit par Pierre Restany, un jeune critique d’art génial et ambitieux. 

Dans ces compositions aux couleurs souvent éblouissantes, on lit l’actualité politique, les campagnes électorales, ou l’évolution des mœurs.
Dans ces compositions aux couleurs souvent éblouissantes, on lit l’actualité politique, les campagnes électorales, ou l’évolution des mœurs. © EMMANUEL JOFFET/SIPA

Marcher, ou plutôt flâner, cadrer une surface à partir d’un détail, d’une figure ou d’un mot, et la maroufler sur toile… L’atelier de Villeglé est dans la rue. Ses images sont un reflet du monde, et de la beauté du chaos urbain. Dans ces compositions aux couleurs souvent éblouissantes, on lit l’actualité politique, les campagnes électorales, ou l’évolution des mœurs – par exemple l’apparition du Minitel rose ! « Mon travail, c’est l’irruption des murs dans les musées », disait-il. 

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Nouvelle étape, le 28 février 1969 : il observe un graffiti sur un mur du métro parisien à la station République : le nom de Nixon écrit avec des lettres composées avec des flèches, une croix gammée et une croix de Lorraine. C’est l’origine de l’invention de son « Alphabet socio-politique ». Picasso disait que l’on pouvait faire un tableau avec une page d’écriture. C’est précisément ce qu’a fait Villeglé avec ses Alphabets socio-politiques auxquels il s’est largement consacré depuis le début des années 2000, transposant dans des typographies éclatées, sur papier, sur toile ou dans l’espace public, des aphorismes empruntés à d’autres. A la croisée du lettrisme et du situationnisme, il trace là encore sa voie, singulière. « Le tout c’est d’avoir du génie à 20 ans et du talent à 80 », écrivait-il par exemple dans sa dernière exposition personnelle à la galerie Vallois en 2021, en citant le peintre Camille Corot. La lecture de ces textes relève du déchiffrage ou bien du décryptage, un peu comme le décodage de ses affiches lacérées : une invitation à mieux regarder le monde autour de nous. 

Les oeuvres de Jacques Villeglé sont à découvrir à la galerie Vallois , 33 et 36 rue de Seine

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