Mort de l’artiste Jacques Villeglé, membre fondateur du Nouveau Réalisme et pionnier du Street Art

Mort de l’artiste Jacques Villeglé, membre fondateur du Nouveau Réalisme et pionnier du Street Art
Connaissance des Arts était allé à la rencontre de Jacques Villeglé dans son atelier parisien en 2014. ©Manolo Mylonas

Jacques Villeglé est décédé dans la nuit de lundi 6 à mardi 7 juin à Paris. Membre fondateur des Nouveaux Réalistes, il a marqué l'histoire de l'art avec ses affiches lacérées et son alphabet socio-politique.

Il était au croisement du Nouveau Réalisme, du Lettrisme et de l’Internationale situationniste. Jacques Mahé de la Villeglé, dit Jacques Villeglé, est mort dans la nuit de lundi 6 au mardi 7 juin à Paris, a déclaré la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, qui le représente depuis plus de vingt ans. Décédé à l’âge de 96 ans, le maître de l’affiche lacérée et pionnier de l’art urbain laisse derrière lui une œuvre foisonnante ayant profondément marqué l’art de la seconde moitié du XXe siècle et rassemblant de précieux témoignages de l’actualité sociale, politique et culturelle d’une époque.

Le Lacéré anonyme

Né en 1926 à Quimper, Jacques Villeglé étudie la peinture et le dessin à l’école des Beaux-Arts de Rennes en 1945, où il rencontre Raymond Hains (1926-2005). En 1947, il commence à collecter des objets trouvés (tels que des fils de fer, débris du mur de l’Atlantique) à Saint-Malo. Fruit de ce travail, Fils d’acier – chaussée aux corsaires est aujourd’hui conservée dans les collections du Centre Pompidou et considérée par Raymond Hains comme la première œuvre Nouveau Réaliste.

Jacques Villeglé, Fils d'acier - Chaussée des Corsaires (Saint-Malo), 1947, fils d'acier, 63 x 47 x 9 cm, collection MNAM, Centre Pompidou © D.R.

Jacques Villeglé, Fils d’acier – Chaussée des Corsaires (Saint-Malo), 1947, fils d’acier, 63 x 47 x 9 cm, collection MNAM, Centre Pompidou © D.R.

En 1949, il s’installe à Paris et se met à récolter avec Raymond Hains des affiches lacérées pour créer ensemble Ach Alma Manétro. Villeglé décide ensuite de limiter ses collectes aux seules affiches lacérées par des mains inconnues, donnant comme titre à ses appropriations le nom du lieu où le rapt est commis. Chez lui, il les recadre et redécoupe les parties qui l’intéressent avant de les maroufler sur toile. Il s’autoproclame plus tard « le Lacéré anonyme », et flâne pendant plus de cinquante ans pour choisir ses pièces en se concentrant sur des thématiques telles que « Les mots », « Sans lettres, sans figures», « Graffitis politiques », se considérant comme un metteur en scène de ces affiches lacérées par des anonymes. Dans les années 1950, il se lance dans le cinéma et coréalise avec Raymond Hains le film inachevé Pénélope, dont il peint les déchets de pellicules avec de l’encre de Chine grasse qui se craquellent au fil du temps.

« L’affiche, émanation de la propagande des pouvoirs politiques et financiers, c’est par les couleurs qui débordent des déchirures qu’elle devient fleur de la vie contemporaine, affirmation d’optimisme et de gaieté. », disait Jacques Villeglé.

En 1957, son travail est exposé au côté de son comparse dans « Hains, Villeglé, Loi du 29 juillet 1881 » à la galerie Colette Allendy à Paris. Deux ans plus tard, il fait sa première exposition personnelle « Lacéré anonyme » à l’atelier François Dufrêne à Paris. Il faut attendre 1964 pour qu’une de ses œuvres rejoigne une collection publique en Allemagne et 1978 pour que le musée des Beaux-Arts de Morlaix organise sa première exposition dans une institution.

Jacques Villeglé, Rue Michel Le Comte, septembre, 1980, affiches lacérées marouflées sur toile, 131 x 133 cm ©galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois

Jacques Villeglé, Rue Michel Le Comte, septembre, 1980, affiches lacérées marouflées sur toile, 131 x 133 cm ©galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois

La naissance du Nouveau Réalisme

En 1960, il est un des membres fondateurs du groupe des Nouveaux Réalistes, à l’initiative de Pierre Restany, au sein duquel Raymond Hains, François Dufrêne et lui-même représentent les Affichistes. Proposant un art alternatif, ancré dans leur époque en faisant entrer le quotidien dans le champ de la création, le mouvement est officialisé la même année par un manifeste qu’il signe avec Raymond Hains, Yves Klein, Arman, Jean Tinguely, Daniel Spoerri, François Dufrêne et Martial Raysse, bientôt rejoints par César, Mimmo Rotella, Christo, Gérard Deschamps et Niki de Saint Phalle.

En 1969, il est frappé par un graffiti anonyme qu’il découvre sur les murs du métro parisien à la station République. Une inscription y est écrite en protestation de la venue de Nixon. Le nom du président américain est rédigé avec un N constitué de trois flèches qui évoquent l’ancien parti socialiste, le I renvoie à la croix de Lorraine, le X est une croix gammée, le O est un cercle enfermant une croix celtique. Dès ce moment-là, il réfléchit à l’élaboration d’une nouvelle typographie, qui donnera naissance à son « Alphabet socio-politique », qui associe les lettres à un corpus de signes, d’idéogrammes et de symboles, utilisé dans la plupart de ses dernières créations. En 2014, l’artiste fait l’honneur à « Connaissance des Arts » de changer la typographie des titres du magazine de juin pour utiliser la sienne.

Êtes-vous plutôt Raysse ou Villeglé ?, éditorial de Guy Boyer dans le numéro 727 - juin 2014 de Connaissance des Arts où Jacques Villeglé a utilisé son Alphabet socio-politique pour la typographie des titres des grands articles. ©️Connaissance des Arts

Êtes-vous plutôt Raysse ou Villeglé ?, éditorial de Guy Boyer dans le numéro 727 – juin 2014 de Connaissance des Arts où Jacques Villeglé a utilisé son Alphabet socio-politique pour la typographie des titres des grands articles. ©️Connaissance des Arts

Plus de 200 expositions personnelles

« Mon travail, c’est l’irruption de la rue sur les murs du musée », se plaisait à décrire ce pionnier du Street Art. Si, tout au long de sa vie, Villeglé a fait l’objet de plus de 200 expositions personnelles en Europe, Amérique, Asie et Afrique, ce n’est qu’en 2008 que Beaubourg lui consacre sa première grande rétrospective en France, avec plus d’une centaine d’œuvres, des années 1940 à nos jours. « Infatigable, Jacques Villeglé a traversé les décennies avec une curiosité insatiable pour les événements de son temps, déclare Sophie Duplaix, conservatrice, cheffe du service des collections contemporaines, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, commissaire de l’exposition « Jacques Villeglé. La comédie urbaine ». Ses affiches lacérées et son alphabet sociopolitique témoignent de cette histoire complexe, avec ses aléas et ses moments d’insouciance. Il avait l’élégance de ceux qui n’ont pas besoin d’en dire trop pour frapper juste. » Le Musée national d’art moderne conserve douze de ses œuvres, dont l’incontournable Tapis Maillot (1959). Lors de la réouverture du MoMA de New York en 2004, il était le seul artiste vivant français présent dans l’accrochage inaugural.

Vue du montage de l’exposition « Alphabet(s) », à la Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois © Tadzio

Vue du montage de l’exposition « Alphabet(s) », à la Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois © Tadzio

Aujourd’hui, les œuvres de Villeglé sont conservées dans de prestigieuses institutions internationales telles que le Museum Ludwig de Cologne, les Musées royaux de Belgique, la Tate Gallery de Londres, le Israel Museum à Jérusalem ou encore le Moderna Museet de Stockholm. Cette année, deux expositions lui seront bientôt consacrées : « Jacques Villeglé, la mémoire composite », qui ouvrira ses portes en juillet prochain à la Chapelle Saint-Sauveur à Saint-Malo, et « Jean Dubuffet, Jaques Villeglé : une affiche dans la ville » qui se tiendra dès septembre au SOMA (Séoul Olympic Museum Of Art) à Séoul (Corée du Sud). Deux hommages à cette figure majeure que l’art contemporain regrette déjà.

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